CYNOREXIE — « Quand Pauline m’a proposé son projet, je n’ai pas eu la moindre once d’hésitation : c’était un grand oui. Un oui important pour moi, car même si des années après ce que j’ose appeler « ma guérison », mon rapport au corps demeure compliqué et conflictuel. Un jour, c’est oui, un jour, c’est franchement non. Mais même lors de ces mauvais jours, je sais rester positive, et sais que demain, pour sûr, ça ira mieux. Et cette simple pensée me fait réaliser comme le chemin fut long et comme je suis fière de ma petite personne de s’en être sortie. Enfin.
Il y a quelques années, lorsque Jared Leto était mon idole absolue et Tim Burton mon maître à penser, les premiers troubles sont apparus. J’ai pourtant tout fait pour qu’ils n’arrivent pas : aux premières envies de mincir, (j’utilise ce mot à dessein.), j’ai tout de suite vu mon médecin. Je me suis fait suivre. J’ai très peu changé mon alimentation. Je l’ai changé un peu. J’ai caché des choses à mon médecin. J’ai commencé les régimes. J’ai pris quelques laxatifs, puis j’en ai pris beaucoup. J’ai menti à ma famille. Je me suis fait vomir. Je faisais des crises de boulimie. Je me suis fait vomir. J’ai fait des crises de boulimie. J’ai pris beaucoup de laxatifs. Je me suis fait vomir.
Je voulais maigrir.
Un cercle infernal et inconscient a commencé : avec des situations toutes plus étranges et stupides possibles. J’ai acheté une balance que je trimballais tout le temps avec moi quitte à me faire mal au dos, j’ai appelé en urgence des nutritionnistes et volé l’argent de mes parents pour payer les séances, acheter des médicaments « miracles » avec trois prises par jour, passé des heures sur Internet à trouver des fausses astuces pour maigrir, utilisé des dizaines de séance d’essais dans les salles de sport de tout Paris. J’ai même été jusqu’à prendre des bains d’eau glacée quitte à frôler le malaise. Tout ça pour un article trouvé au hasard en ligne, prodiguant d’obscurs conseils…
Puis j’ai commencé à voler. Des choses futiles la plupart du temps, bien sûr : des boucles d’oreilles fantaisie chez Monop ou des stylos. Puis bêtement, j’ai voulu voler autre chose. Autre chose d’à peine moins futile : un pinceau pour blush chez Sephora. Je ne porte pas de blush.
Je me souviens de tout : le pinceau dans la manche de mon manteau, la question du vigil, l’humiliation, la panique quand une responsable appelle la police. Mes amis qui me voient me faire embarquer vers l’arrière-boutique. Ma carte d’identité restée à la maison et la chance qu’aucun commissariat ne réponde. Puis le craquage total.
Je hurle dans le magasin. Je hurle qu’après tout je ne suis qu’une gamine paumée qui cherche à se faire du mal, et que tout leur dispositif de punition n’est pas assez efficace pour que j’arrive réellement à me faire les dommages que je veux. Je leur crie qu’ils ne peuvent pas comprendre ce que c’est et que j’en ai bien rien à foutre de leur pinceau.
On est une veille de Noël. La responsable me dit qu’elle abandonne, mais que jamais je ne travaillerai dans ce Sephora. J’aurais été capable de m’y faire engager juste pour lui prouver qu’elle avait tort. Je sors du magasin. Je me pose sur un banc. Il fait déjà nuit, et j’explose en pleurs. Il faut que j’appelle ma mère. À ma voix, Maman comprend que ça ne va pas, et que c’est grave. Je rentre à la maison et je vais me coucher. Ma mère arrive dans la chambre et je lui explique tout.
Elle me dit enfin : « Tu es malade Mathilde, tu es anorexique ».
De là, ma mère prend le problème en main et m’emmène dans des centres de traitement. Le premier est un échec total. J’ai la sensation qu’on me prend franchement pour une idiote et les prix sont exorbitants. On m’emmène à l’hôpital Montsouris. C’est presque pire : la nutritionniste me prend de haut et la conseillère familiale/psy n’est d’aucun soutien, et je fais des crises chaque fois que je sors de l’hôpital.
L’avantage, c’est que la plupart du temps, je suis seule et je peux faire ma petite crise de boulimie tranquillement, puis armée de ma brosse à dents que j’enfonce dans ma gorge pour me faire vomir, je rentre chez moi. Jusqu’au jour où ma famille décide de passer une après-midi de détente au parc Montsouris. Ça ne loupe pas. On s’installe sur la terrasse d’une petite buvette, et je commande trop à manger : croque-monsieur, chips, et gaufres, jusqu’au point de non-retour. Le moment où je veux vomir. Mais en présence de ma famille, c’est impossible. Alors je craque et je leur explique que je suis en pleine crise, qu’il faut que je rentre à la maison, et que j’aille me faire vomir.
Je me souviens de la surprise et la colère de ma mère qui ne comprends pas pourquoi elle n’a pas vu cette crise venir et voit que l’après-midi est foutue. Ma sœur, qui était très jeune à ce moment-là, devait bien se demander quand est-ce j’arrêterai d’être folle. Et mon père, abattu et triste, me raccompagne à la maison en pleurs, pour que je puisse faire mon affaire. Cette crise a été terrible parce qu’elle a fait éclater tous mes dysfonctionnements internes au grand jour. Et je sais qu’aujourd’hui encore, ma famille m’en veux d’avoir gâché tant de beaux moments avec cette foutue maladie.
La première étape de la guérison fut aussi simple que rapide dans mon cas. C’était une question de gestion du temps. Quand vos journées ne sont composées que de recherches sur Internet à base de « Comment maigrir ? », de pesées, de prises de laxatifs, de sports, de crises, de vomissements et d’élaboration de nouveaux stratagèmes pour cacher le tout, ça ne laisse pas la place à grand chose d’autre.
Quand cette vérité m’a frappée, j’ai vraiment vu les semaines de mon agenda remplies avec une seule et même chose : « Être anorexique ».
Je n’en voulais plus. C’était trop, et j’avais autre chose à faire. En une semaine, j’ai senti comme une « flemme » s’installer. La flemme d’être malade. J’ai petit à petit abandonné toutes mes habitudes toxiques, mes recherches en lignes, mes sessions de vomissements etc… Je n’avais plus le temps, ni l’énergie pour tout ça. Si bien qu’à la fin de cette semaine de septembre, vers la fin de mon adolescence, je m’alimentais à nouveau normalement. Certes, je mangeais sans plaisir mais je mangeais. Je m’alimentais.
Le changement crucial est arrivé lors de la rencontre avec mon ex-compagnon, il y a quatre ans. Nicolas. L’oncle de Nicolas est la personne qui a introduit le yoga en France. Il m’a donc initié à cette pratique qui aujourd’hui me permet de calmer mes nerfs quand je me sens en insécurité vis à vis de mon corps. Ainsi, je n’apprends pas à l’accepter, mais à le chérir, en prendre soin et arrêter les tortures inutiles pour lui donner un maximum de plaisir, malgré un rapport au corps qui garde ses complexités, mais qui se maîtrise tellement mieux.
Un jour, Nicolas m’a dit cette phrase tout simple, mais d’une puissance inouïe : « Chaque repas est une fête ».
S’il savait que cette déclaration a eu l’effet d’une bombe dans ma tête… Depuis, j’ai repris plaisir à cuisiner, mais surtout à manger ce que je cuisine, et peu importe le gras et la quantité, je fais de chacun de mes repas un moment de célébration, une ode aux produits frais et à toutes les cuisines du monde. »
Mathilde Beltran
CYNOREXIE — « Quand Pauline m’a proposé son projet, je n’ai pas eu la moindre once d’hésitation : c’était un grand oui. Un oui important pour moi, car même si des années après ce que j’ose appeler « ma guérison », mon rapport au corps demeure compliqué et conflictuel. Un jour, c’est oui, un jour, c’est franchement non. Mais même lors de ces mauvais jours, je sais rester positive, et sais que demain, pour sûr, ça ira mieux. Et cette simple pensée me fait réaliser comme le chemin fut long et comme je suis fière de ma petite personne de s’en être sortie. Enfin.
Il y a quelques années, lorsque Jared Leto était mon idole absolue et Tim Burton mon maître à penser, les premiers troubles sont apparus. J’ai pourtant tout fait pour qu’ils n’arrivent pas : aux premières envies de mincir, (j’utilise ce mot à dessein.), j’ai tout de suite vu mon médecin. Je me suis fait suivre. J’ai très peu changé mon alimentation. Je l’ai changé un peu. J’ai caché des choses à mon médecin. J’ai commencé les régimes. J’ai pris quelques laxatifs, puis j’en ai pris beaucoup. J’ai menti à ma famille. Je me suis fait vomir. Je faisais des crises de boulimie. Je me suis fait vomir. J’ai fait des crises de boulimie. J’ai pris beaucoup de laxatifs. Je me suis fait vomir.
Je voulais maigrir.
Un cercle infernal et inconscient a commencé : avec des situations toutes plus étranges et stupides possibles. J’ai acheté une balance que je trimballais tout le temps avec moi quitte à me faire mal au dos, j’ai appelé en urgence des nutritionnistes et volé l’argent de mes parents pour payer les séances, acheter des médicaments « miracles » avec trois prises par jour, passé des heures sur Internet à trouver des fausses astuces pour maigrir, utilisé des dizaines de séance d’essais dans les salles de sport de tout Paris. J’ai même été jusqu’à prendre des bains d’eau glacée quitte à frôler le malaise. Tout ça pour un article trouvé au hasard en ligne, prodiguant d’obscurs conseils…
Puis j’ai commencé à voler. Des choses futiles la plupart du temps, bien sûr : des boucles d’oreilles fantaisie chez Monop ou des stylos. Puis bêtement, j’ai voulu voler autre chose. Autre chose d’à peine moins futile : un pinceau pour blush chez Sephora. Je ne porte pas de blush.
Des amis de longue date étaient présents dans le magasin en même temps que moi, et ce, par pur hasard.
Je me souviens de tout : le pinceau dans la manche de mon manteau, la question du vigil, l’humiliation, la panique quand une responsable appelle la police. Mes amis qui me voient me faire embarquer vers l’arrière-boutique. Ma carte d’identité restée à la maison et la chance qu’aucun commissariat ne réponde. Puis le craquage total.
Je hurle dans le magasin. Je hurle qu’après tout je ne suis qu’une gamine paumée qui cherche à se faire du mal, et que tout leur dispositif de punition n’est pas assez efficace pour que j’arrive réellement à me faire les dommages que je veux. Je leur crie qu’ils ne peuvent pas comprendre ce que c’est et que j’en ai bien rien à foutre de leur pinceau.
On est une veille de Noël. La responsable me dit qu’elle abandonne, mais que jamais je ne travaillerai dans ce Sephora. J’aurais été capable de m’y faire engager juste pour lui prouver qu’elle avait tort. Je sors du magasin. Je me pose sur un banc. Il fait déjà nuit, et j’explose en pleurs. Il faut que j’appelle ma mère. À ma voix, Maman comprend que ça ne va pas, et que c’est grave. Je rentre à la maison et je vais me coucher. Ma mère arrive dans la chambre et je lui explique tout.
Elle me dit enfin : « Tu es malade Mathilde, tu es anorexique ».
De là, ma mère prend le problème en main et m’emmène dans des centres de traitement. Le premier est un échec total. J’ai la sensation qu’on me prend franchement pour une idiote et les prix sont exorbitants. On m’emmène à l’hôpital Montsouris. C’est presque pire : la nutritionniste me prend de haut et la conseillère familiale/psy n’est d’aucun soutien, et je fais des crises chaque fois que je sors de l’hôpital.
L’avantage, c’est que la plupart du temps, je suis seule et je peux faire ma petite crise de boulimie tranquillement, puis armée de ma brosse à dents que j’enfonce dans ma gorge pour me faire vomir, je rentre chez moi. Jusqu’au jour où ma famille décide de passer une après-midi de détente au parc Montsouris. Ça ne loupe pas.
On s’installe sur la terrasse d’une petite buvette, et je commande trop à manger : croque-monsieur, chips, et gaufres, jusqu’au point de non-retour. Le moment où je veux vomir. Mais en présence de ma famille, c’est impossible. Alors je craque et je leur explique que je suis en pleine crise, qu’il faut que je rentre à la maison, et que j’aille me faire vomir.
Je me souviens de la surprise et la colère de ma mère qui ne comprends pas pourquoi elle n’a pas vu cette crise venir et voit que l’après-midi est foutue. Ma sœur, qui était très jeune à ce moment-là, devait bien se demander quand est-ce j’arrêterai d’être folle. Et mon père, abattu et triste, me raccompagne à la maison en pleurs, pour que je puisse faire mon affaire. Cette crise a été terrible parce qu’elle a fait éclater tous mes dysfonctionnements internes au grand jour. Et je sais qu’aujourd’hui encore, ma famille m’en veux d’avoir gâché tant de beaux moments avec cette foutue maladie. La première étape de la guérison fut aussi simple que rapide dans mon cas. C’était une question de gestion du temps. Quand vos journées ne sont composées que de recherches sur Internet à base de « Comment maigrir ? », de pesées, de prises de laxatifs, de sports, de crises, de vomissements et d’élaboration de nouveaux stratagèmes pour cacher le tout, ça ne laisse pas la place à grand chose d’autre.
Quand cette vérité m’a frappée, j’ai vraiment vu les semaines de mon agenda remplies avec une seule et même chose : « Être anorexique ».
Je n’en voulais plus. C’était trop, et j’avais autre chose à faire. En une semaine, j’ai senti comme une « flemme » s’installer. La flemme d’être malade. J’ai petit à petit abandonné toutes mes habitudes toxiques, mes recherches en lignes, mes sessions de vomissements etc… Je n’avais plus le temps, ni l’énergie pour tout ça. Si bien qu’à la fin de cette semaine de septembre, vers la fin de mon adolescence, je m’alimentais à nouveau normalement.
Certes, je mangeais sans plaisir mais je mangeais. Je m’alimentais.
Le changement crucial est arrivé lors de la rencontre avec mon ex-compagnon il y a quatre ans. Nicolas. L’oncle de Nicolas est la personne qui a introduit le yoga en France. Il m’a donc initié à cette pratique qui aujourd’hui me permet de calmer mes nerfs quand je me sens en insécurité vis à vis de mon corps. Ainsi, je n’apprends pas à l’accepter, mais à le chérir, en prendre soin et arrêter les tortures inutiles pour lui donner un maximum de plaisir, malgré un rapport au corps qui garde ses complexités, mais qui se maîtrise tellement mieux.
Un jour, Nicolas m’a dit cette phrase tout simple, mais d’une puissance inouïe : « Chaque repas est une fête ».
S’il savait que cette déclaration a eu l’effet d’une bombe dans ma tête… Depuis, j’ai repris plaisir à cuisiner, mais surtout à manger ce que je cuisine, et peu importe le gras et la quantité, je fais de chacun de mes repas un moment de célébration, une ode aux produits frais et à toutes les cuisines du monde. »
Mathilde Beltran