SANGS OUBLIÉS — Il y a quelques temps, j'ai découvert dans la maison de famille construite par mon grand-père, et plus précisément dans l'ancienne chambre du frère de ma mère, des valises remplies d'objets et d'images.
Ce qui m'a tout de suite frappé, c'était moins leur contenu que leur aspect : certaines étaient déchirées, cornées, tâchées, d'autres présentaient des sujets décadrés ou coupés. Presque aucune n'était "parfaite".
Et ce sont justement ces imperfections qui les rendaient uniques et précieuses. J'ai alors voulu raconter l'histoire de cette famille qui est la mienne. Mais s'est posé un problème : je n'avais aucune idée de qui étaient toutes ces personnes. Leurs visages m'étaient profondément inconnus, et plus j'essayais d'en apprendre, plus je me rendais compte des immenses failles qui empêchaient toute réelle avancée dans l'enquête.
D'autre part, leur nombre était impressionnant : ce sont des centaines et des centaines de prises de vues, dont la première date de 1882. Le travail d'archivage et de recherche semblait donc sans fin et destiné à rencontrer des obstacles historiques. C'est ainsi que je me suis retrouvé(e) face à une pile déconcertante de souvenirs désordonnés, et à plus de cent ans de pellicule.
C'est alors que deux choses me sont venues à l'esprit. La première : sachant que j'avais choisi le stop-motion pour ce projet, je suis revenu(e) au principe fondamental de l'animation : c'est le cerveau qui recrée le mouvement à partir de l'enchaînement des images, et non l'inverse.
Autrement dit, c'est notre esprit qui "comble" le vide pour créer un ensemble complexe et entier. La deuxième, c'est qu'une photo dépend avant tout de son contexte : pourquoi a-t-on pris ce cliché à ce moment-là ? Que s'est-il dit à l'instant T ? Qui a pris la photo ? Quelles sont toutes ces choses que je ne peux pas voir, entendre ou ressentir, qui ont participé à l'existence de ce cliché ?
C'est pourquoi j'ai décidé d'inviter mon imagination à restaurer, de manière fictive, un contexte pour toutes ces photos qui constituent une mosaïque de mon arbre généalogique. Comme pour inventer le ciment qui les lie entre elles. C'est le moyen que j'ai trouvé pour rendre leurs histoires à ces inconnus de ma famille et combler les lacunes laissées par le temps.
Au fil des clichés, je suis retombée malgré moi dans des souvenirs d'enfance qui m'ont amenée à mélanger inconsciemment les époques et les histoires, créant ainsi un univers presque alternatif.
J'ai choisi en particulier de me concentrer sur les femmes de ma famille, sur celles par qui le nom disparaît. Toutes ces Bedos, Lacaze, Lautié, Lagriffoul qu'il y a eu avant le nom de Beltran que je porte aujourd'hui.
C'est pour cette raison que commencer par mon arrière-arrière-arrière-grand-mère du côté maternel et remonter jusqu'à ma mère m'a semblé être une évidence, voire même nécessaire.
© Pauline Beltran, 2023
All right reserved
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